Embarquez pour 2040 avec Jules

Jules

Jules

Maraîcher

  • 62 ans, né en 1978
  • Habite à Sainte-Soulle dans une maison individuelle
  • Séparé, a 2 enfants adultes
  • Impliqué
  • Est entré par une prise de conscience personnelle liée à son métier et par la dynamique collective des nouveaux espaces de décision
Portrait grande taille de Jules

Jules, agriculteur, et Jamel, étudiant, se rencontrent dans la cour de la ferme. L’entretien se poursuit dans le salon de la maison de Jules. Après l’entretien, Jamel notera dans son petit carnet : « Écoconstruction qui date des années 2020, ça se voit au style des ouvertures et des pergolas. Elle est plutôt bien conservée. Un peu plus loin, il y a des ombrières un peu anciennes aussi et les toutes nouvelles mini-éoliennes qui équipent beaucoup de maisons individuelles dans le coin qui est bien venté. » Pour l’instant, il explique l’objectif du rendez-vous :

  • Comme je vous l’ai dit au téléphone, je viens vous voir dans le cadre de mes études. L’entretien porte sur votre activité et sur le bilan que vous faites de l’agriculture 4.0.
  • 4.0 ?
  • Oui, on est en 2040. L’agriculture a radicalement changé depuis 2020 et les gestionnaires parlent d’agriculture 4.0 pour décrire cette évolution.
  • Waouh !
  • Mais c’est juste un mot. Ce n’est pas important, ce qui compte c’est ce que vous avez à me dire. Si vous êtes d’accord l’entretien va être enregistré. Je dois le retranscrire en totalité dans le cadre de mon cours.
  • Oui, oui. D’accord. Oh, je vois que vous êtes venu avec votre chien.
  • Ça ne vous gêne pas ?
  • Non, d’ailleurs le mien l’a vu avant moi. J’aime quand deux chiens se rencontrent. C’est spontané. Et ça a l’air de bien marcher, tous les deux. J’espère que notre entretien sera aussi bien.
  • Alors, ma 1ère question, c’est... (Jamel cherche dans ses notes) pouvez-vous présenter votre exploitation ?
  • Ah ben, c’est l’histoire de la famille que je vais devoir faire. L’exploitation date de mes arrière-grands-parents. Ils avaient déjà une vingtaine d’hectares. Le mouvement dans l’agriculture sur l’agglo, et partout en France d’ailleurs, a vu le nombre d’exploitations diminuer de façon énorme et leur taille augmenter. En 2020 la famille avait plus de 200 ha. J’avais 40 balais à l’époque. Dingue. Les anciens n’arrivaient pas à transmettre. Ceux qui restaient s’associaient pour reprendre les surfaces et préserver les terres cultivées. On était grignoté par les lotissements, les grandes surfaces et les parkings et les routes bien sûr. Ce n’était pas imaginable un petit jeune comme toi que se lance sans être né dedans. Bon, je reviens à mes moutons, ou plutôt mes tournesols. Depuis 2020, on n’a pas grandi en surface, par contre il y a eu des nouveaux qui se sont installés autour de nous. C’est l’effet du grand dérangement et du programme Ceinture verte.
  • Le grand dérangement, c’est quoi ?
  • Tu n’en as pas entendu parler dans ta fac ? C’est l’inverse de l’exode rural, c’est le mouvement de tous ceux qui voulaient quitter les grandes villes pour venir à la campagne. On ne pouvait plus prendre l’avion. Alors les champs de blé, les p’tits oiseaux, ça a bien tenté les parisiens. Moi qui n’avais jamais pris l’avion, parce que quand t’es agriculteur c’est tous les jours et t’as pas de vacances, donc brusquement moi, j’étais à la mode. Alors, certains en ont bavé mais le programme des ceintures vertes autour des villes a permis de préserver les terres. L’idée c’était de privilégier les circuits de proximité. Vite on s’est rendu compte que la mode de l’agriculture urbaine n'allait pas suffire donc on a repensé toute la logique du territoire. A l’époque, ma cousine était la maire du coin. On a fait un voyage d’études en Allemagne. Ça a été très stimulant. En Allemagne, on a vu des petites fermes. Un truc qui n’existait plus en France. Alors, il n’y avait pas que ça. Faut pas raconter des histoires. Mais dans ces petites fermes, ils s’en sortaient aussi bien que moi avec mes 40 salariés. Waouh. Ça fait un drôle d’effet. On se dit, y a peut-être un moyen de faire autrement. Moi, à ce moment-là, j’étais en train de passé au bio.
  • Ah, comment vous aviez pris cette décision ?
  • Je faisais, je fais toujours des primeurs, j’ai des grandes cultures, du blé, de l’orge, du colza, du tournesol. Et je mettais des désherbants, des fongicides. Enfin, l’agriculture que j’avais appris à l’école. Et, ça a été une révolution, non, une révélation pour moi. 20 ans à faire de la chimie et le sol de plus en plus sec. Le problème de l’eau, le manque d’arbres. C’était plus possible. Je me souviens, je me suis dit : l’avenir c’est remettre de l’attention humaine pour prendre soin de la terre. Je n’suis pas tout le temps dans les bureaux comme ce matin. Je suis dans les champs. Je me suis mis à travailler sur le milieu pour qu’il soit plus sain. Je dis « moi » mais je n’étais pas tout seul, hein, tu comprends ça. On a été plusieurs à faire la même réflexion. Certains plus tôt que d’autres. T’iras voir d’autres agriculteurs ? Va chez Jacob qui est à côté ou va chez Jean-Baptiste qui est plus au sud. Ici, le changement a été important, on est passé au désherbage manuel, les rendements ont changé, il a fallu se faire des références pour chaque culture. On réapprenait notre métier et c’est la terre qui nous l’enseignait. Avec des collègues agriculteurs, on était sûr qu’il fallait suivre cette voie. Ce qu'on appelait "agriculture conventionnelle" à l'époque ne montrait pas de chemin possible. Mais financièrement ce n’a pas été toujours pas facile.
  • Il devait pourtant y avoir des experts pour vous conseiller ?
  • Ah ça. Des conseillers et des techniciens, y en a et il y en avait. Mais, vite, j’ai vraiment été déçu vis-à-vis des experts. La période était et reste compliquée. Il y avait une peur de l’avenir, avec des revenus vraiment pas top. Et la réponse des experts c’était d’être des « Monsieur plus ». Faire toujours plus de rendement, avec des engrais solubles trop vite. C’est comme donner des amphétamines à la terre. Il n’y a pas d’avenir là-dedans si on veut une alimentation saine et durable. C’est pour ça que Petites Rivières, le lieu alternatif de Sainte-Soulle, nous a servi de terreau. Ouais, c’est bien ça. Des gens venaient, témoignaient de ce qu’ils avaient mis en place ailleurs. Petites Rivières a permis aussi de faire discuter des gens qui ont des réalités différentes. Ça a permis d’informer les gens qu’ils soient du coin ou qu’ils viennent de loin pour les activités du lieu. Pour qu’ils connaissent les produits, la valeur de ma branche de persil. Je passe du temps à la produire. C’est du bio, et pas cher en plus. Elle a un vrai goût. Je n’veux pas qu’elle soit jetée aux ordures parce que quelqu’un l’a oubliée dans son frigo et qu’elle est toute fanée. Tu vois les experts, ils manquent d’humilité. Ils savent et pas toi. Alors que le collectif, notamment à Petites Rivières, c’est des passionnés de leur sujet qui veulent partager leur expérience et leur savoir.
  • Si vous deviez conclure sur votre travail aujourd’hui ?
  • Tout n’est pas résolu. La montée de la salinité, le manque d’eau mais il y a des belles réussites. Le retour des arbres dans l’agroforesterie par exemple. Et le fait de voir que les gens se sentent vraiment responsables de chaque acte d’achat, ça nous oblige à faire mieux notre métier. Franchement, c’est chouette de voir qu’avec les nouvelles applis on peut savoir comment le truc qu’on mange a été produit et comment ceux qui l’ont fait ont été payés. Aujourd’hui, quand tu es ouvrier agricole tu gagnes correctement ta vie et tu es fier de ce que tu fais.

Après l’entretien, Jamel met au clair ses notes. Il n’était pas chaud pour faire cette série d’entretiens. Étudiant en gestion à l’université de La Rochelle, il se sent très urbain. La prof avait imposé les entretiens et le sujet sur le management dans le secteur agricole. Franchement pas son choix. Et, à sa grande surprise, les entretiens qui lui faisaient un peu peur se passent super bien. Il a déjà rencontré une éleveuse et deux exploitants, tous adorables, super intéressants. Ils ont pris du temps pour le rencontrer, lui expliquer leurs métiers. A chaque fois, il lui offre un petit café ou même un apéro. Jamel ne s’y attendait pas. Il a l’impression d’avoir appris des tas de choses et surtout d’avoir changé d’avis. Faire des entretiens, il trouve ça extra maintenant. Son projet c’est de se mettre à son compte. Il s’est toujours vu chef d’entreprise. C’est bien pour ça qu’il est à l’IAE. Et, il n’y avait pas pensé avant la fac mais travailler avec le monde agricole, ça pourrait être une idée. D’autant plus que les cours de permaculture l’ont vraiment motivé. Il faut qu’il en parle à sa copine ce soir. Il irait bien faire un tour avec elle à ce truc, Petites Rivières, pour tâter le terrain. Et puis ça permettra de varier les balades de Nestor, son chien, habituellement confié à Janine, sa voisine retraitée. Habiter dans une résidence partagée mélangeant séniors, actifs et étudiants a beaucoup d’avantages, surtout quand on a besoin d’un service ou qu’on supporte mal la solitude. Il y a toujours quelqu’un pour dépanner quel que soit le problème : cuisine ou couture ou cours de statistiques. Avant de rentrer, il caresse encore Nestor. L’idée d’aller faire un tour à Petites Rivières lui plaît vraiment bien. Il faut dire qu’il est adepte des tiers-lieux. Il va souvent à ceux proposés par l’université que ça concerne le troc de meubles et de petits équipements ou le fab lab pour imaginer le territoire de l’agglomération en 2070. Bon allez, assez rêvé Nestor, on y va.

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Maraîcher

Jules habite dans une ferme, écoconstruite qui date des années 2020. Elle est plutôt bien conservée. Un peu plus loin, il y a des ombrières un peu anciennes aussi et les toutes nouvelles mini-éoliennes qui équipent beaucoup de maisons individuelles dans le coin qui est bien venté.

L’agriculture a radicalement changé depuis 2020 et les gestionnaires parlent d’agriculture 4.0 pour décrire cette évolution.

L’exploitation date de ses arrière-grands-parents. Ils avaient déjà une vingtaine d’hectares. Le mouvement dans l’agriculture sur l’agglo, et partout en France d’ailleurs, a vu le nombre d’exploitations diminuer de façon énorme et leur taille augmenter. En 2020 la famille avait plus de 200 ha. Les anciens n’arrivaient pas à transmettre. Ceux qui restaient s’associaient pour reprendre les surfaces et préserver les terres cultivées. Les terres agricoles étaient grignotées par les lotissements, les grandes surfaces, les parkings et les routes.

Le programme Ceinture Verte

Depuis 2020, on n’a pas grandi en surface, par contre il y a eu des nouveaux qui se sont installés autour de nous. C’est l’effet du grand dérangement et du programme Ceinture verte.

C’est l’inverse de l’exode rural, c’est le mouvement de tous ceux qui voulaient quitter les grandes villes pour venir à la campagne. On ne pouvait plus prendre l’avion. Alors les champs de blé, les p’tits oiseaux, ça a bien tenté les parisiens.

Le programme des ceintures vertes autour des villes a permis de préserver les terres. L’idée était de privilégier les circuits de proximité. La mode de l’agriculture urbaine n'allait pas suffire donc toute la logique a été repensée.

Il a fait un voyage d’études en Allemagne qui a été très stimulant. Il a vu des petites fermes. Un truc qui n’existait plus en France. Mais dans ces petites fermes, ils s’en sortaient aussi bien que lui avec ses 40 salariés. Alors il s’est dit qu’il y avait peut-être un moyen de faire autrement. Et, à ce moment-là, il était en train de passé au bio.

Il faisait, fait toujours, des primeurs, des grandes cultures, du blé, de l’orge, du colza, du tournesol. Il mettait des désherbants, des fongicides. L’agriculture qu’il avait apprise à l’école. Et, ça a été une révélation. 20 ans à faire de la chimie et le sol de plus en plus sec. Le problème de l’eau, le manque d’arbres. C’était plus possible.

Prendre soin de la terre

Il s’est dit : l’avenir c’est remettre de l’attention humaine pour prendre soin de la terre.

Ici, le changement a été important, ils sont passés au désherbage manuel, les rendements ont changé, il a fallu se faire des références pour chaque culture. Ils réapprenaient leur métier et c’est la terre qui leur enseignait.

Avec ses collègues agriculteurs, ils étaient sûrs qu’il fallait suivre cette voie. Ce qu'on appelait "agriculture conventionnelle" à l'époque ne montrait pas de chemin possible. Mais financièrement ce n’a pas été toujours facile.

Des experts et des techniciens pour les conseiller, il y en avait. Mais il a vite été déçu. La période était et reste compliquée. Il y avait une peur de l’avenir, avec des revenus vraiment pas top. Et la réponse des experts c’était d’être des "Monsieurs plus". Faire toujours plus de rendement, avec des engrais solubles trop vite. C’est comme donner des amphétamines à la terre. Il n’y a pas d’avenir là-dedans si on veut une alimentation saine et durable.

C’est pour ça que Petites Rivières, le lieu alternatif de Sainte-Soulle, leur a servi de terreau. Des gens venaient, témoignaient de ce qu’ils avaient mis en place ailleurs. Petites Rivières a permis aussi de faire discuter des gens qui ont des réalités différentes. Ça a permis d’informer les consommateurs pour qu’ils connaissent les produits, la valeur de sa branche de persil. Il passe du temps à la produire. C’est du bio, et pas cher en plus. Elle a un vrai goût.

Le collectif, notamment à Petites Rivières, ce sont des passionnés de leur sujet qui veulent partager leur expérience et leur savoir.

Tout n’est pas résolu. La montée de la salinité, le manque d’eau mais il y a des belles réussites. Le retour des arbres dans l’agroforesterie par exemple. Et le fait de voir que les gens se sentent vraiment responsables de chaque acte d’achat, ça les oblige à faire mieux leur métier. Franchement, c’est chouette de voir qu’avec les nouvelles applis on peut savoir comment le truc qu’on mange a été produit et comment ceux qui l’ont fait ont été payés.

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