Pour comprendre le parcours de Jeudi, il faut dire qu’elle est la benjamine de sa famille, la seule fille. Il faut dire aussi que sa famille travaille dans la conchyliculture depuis au moins cinq générations. Elle est née en 2000, lors du changement de millénaire, ses parents ont voulu marquer le saut dans la modernité par son choix de prénom. Enfant, elle a longtemps rêvé de s’appeler Léa ou Jennifer. Mais, assez vite, le fait de devoir assumer son prénom lui a forgé le caractère. Elle a été une ado têtue, infernale dirait sa mère, puis une jeune fille décidée. Quand il a fallu choisir son orientation au lycée, c’était encore l’époque de Parcoursup, ses parents n’ont pas voulu qu’elle s’oriente vers la conchyliculture. D’abord, c’était un métier pas fait pour les filles et ensuite, c’était une période où il y avait beaucoup de problèmes dans la filière : l’usage du plastique était très critiqué, les étés très chauds et le dragage posaient un problème sanitaire à répétition avec le développement de bactéries opportunistes, les pertes avaient été importantes deux années de suite, les administrations développaient les contrôles tatillons sur les exploitations, et il y avait le problème avec le braconnage. Y a pas que les bactéries qui sont opportunistes. Les parcs sont grands, loin des yeux et y a toujours des gars pour chercher à en profiter. Ses parents râlaient tout le temps : « Non mais, la mer c’est pas que pour les voileux. Y en a que pour les loisirs. » Donc, elle, la petite dernière, allait faire des études supérieures et travailler dans un bureau. Sa mère avait suggéré la fac de droit. Et puis quoi encore ? Jeudi avait intégré une grande école d’ingénieur. Diplômée, elle a travaillé dans un grand groupe français en région parisienne puis à Lyon. Puis, le grand amour, un enfant, et un jour, elle s’est rappelé qu’elle était une fille du bord de mer. Elle s’en souvient encore, de cette prise de conscience. Elle était devant sa tasse de café. Il pleuvait. Il y avait du bruit dans la cuisine qu’elle choisissait de ne pas entendre. Et, là, ça lui est apparu comme une évidence : il fallait revenir sur la côte et changer de vie. Et voilà. Le saut dans le vide.
Aucun regret aujourd’hui. Elle vit la vie qu’elle a choisie. Elle a monté son activité en mytiliculture. Ça n’a pas été facile, heureusement son conjoint avait trouvé un job motivant à Atlantech. Elle a choisi de faire les choses à sa manière, pas à celle des anciens. Pas de plastique pour les collecteurs de naissains. Ça a marché parce qu’elle avait gardé le nom de son père et on savait que sa famille avait toujours été sérieuse. Auprès des fournisseurs, ça facilite sacrément les choses. Mais ça n’a pas été facile. Les collègues conchyliculteurs ne voulaient pas changer les habitudes. On est quand même dans une région qui a inventé la charentaise. « On a toujours fait comme ça » a été le maître-mot qu’on lui a opposé quand elle a voulu entraîner la profession pour ne pas être la seule à bouger. Elle avait une énergie du feu de dieu à ce moment-là. Sans doute parce qu’elle se sentait enfin à sa place dans sa région et dans ce qu’elle faisait. Heureusement qu’elle est têtue et elle a trouvé des arguments, d’abord auprès du grand-père : le tout plastique n’est pas si vieux, les années 1990. Certains ont une petite mémoire.
Ensuite, les projets de l’Agglo et de la région ont aidé à faire bouger les lignes : la charte de la plage sans plastique, l’élargissement du parc marin et l’association des gens des métiers de la mer aux décisions de sa gestion, etc. Ce premier acquis sur le plastique a été difficile à conquérir, ça ne s’est pas fait sans conflit mais, à la fin, ça a aussi permis de renforcer les liens avec les collègues qui prenaient de plus en plus conscience de la fragilité de l’écosystème et aussi de sa valeur : les moules sont un puits à CO2 et à azote. Cette prise de conscience de la profession a renversé les perspectives. Après un travail avec l’agglo et aussi l’université, on est parvenu à créer un compte-épargne en faveur des conchyliculteurs, une sorte de prime à la captation de CO2 et d’azote. Ce compte qui est en monnaie locale a permis d’abonder un fonds assuranciel qui joue en cas de pollution et de pertes de la production (Le fonds sert aussi de couverture pour les sorties pédagogiques, Jeudi connaît bien Jacob, l’éleveur, qui a poussé pour la mise en œuvre de ce principe pour favoriser l’usage des ânes et chevaux dans les activités de ramassage des déchets sur les plages et d’entretien des parcs et jardins). Les entreprises pollueuses contribuent à ce fonds, comme les citoyens qui peuvent le faire sur la base du volontariat. Beaucoup des bons clients, en particulier ceux qui ont découvert la production de Jeudi par le pescatourisme. Et honnêtement ça donne de l’air à sa trésorerie.
A partir de là, la sauce a pris. Avec les collègues et l’aide de l’agglo et de la Région, on a réfléchi à une filière d’approvisionnement locale pour les pieux. Plutôt du pin maritime résistant aux tarés que du bois exotique. Ça s’est fait avec le Contrat territoire d’Environnement. Et après ils se sont attaqués à la motorisation des barges et des zodiacs. Dans les années 2020, les bateaux étaient très bruyants. Le boulot est très physique et le bruit en plus ça n’aide pas. La consommation du gasoil devenait du non-sens. Une borne de recharge a été installée à Chef de baie et progressivement il y en a eu de plus en plus et quand il a fallu changer les bateaux, c’était une évidence pour tous : fallait totalement revoir la flotte. Il y a un vrai plaisir à embarquer sur une belle barge, sûre, silencieuse, pas polluante. C’était logique avec le système de poids lourds à propulsion électrique mis en place pour desservir Chef de baie. Faut être cohérent.
Jeudi voit son métier comme un sport de compétition, lutter avec la marée, tous les jours, sans mettre sur pause. Pour que ça marche, elle pense qu’il faut respecter l’environnement, qui est parfois un adversaire tenace et difficile. La compétition c’est aussi aller chercher les autres, pas seulement les collègues mais aussi les jeunes, les consommateurs. C’est toute la dynamique du port pluriel qui a permis cela : le port est aujourd’hui une zone accessible à tous. Tournée vers la mer, l’agglo a développé avec les filières pêche et conchyliculture le pescatourisme. Le mot plaît, ça fait un peu vacances dans le sud. Les collègues volontaires et Jeudi la première embarquent régulièrement des jeunes des écoles ou des touristes pour aller à la marée et leur faire découvrir leur métier, leurs techniques et l’environnement marin. Jeudi se retrouve bien dans cette approche. Et elle en recrute des jeunes.
Enfin, avec les bars dégustation qu’elle a ouverts, s’est posé le problème des coquilles vides. Qu’est-ce qu’on en fait ? Parce que ça fait du volume.
Des projets de valorisation des déchets se sont montés avec l’Université. C’est encore du sport de travailler avec des universitaires. Heureusement, sa casquette d’ingénieure l’a aidée. Elle a eu l’impression qu’elle n’avait pas trop besoin de traducteur. Et d’ailleurs, les projets ont abouti à un truc d’enfer : on a développé la filière de valorisation des coquilles pour les transformer en matériaux de construction. Les déchets de certaines activités devenaient utiles pour d’autres entreprises. C’est ça l’économie circulaire.
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Mytilicultrice
Benjamine de sa famille, Jeudi est la seule fille. Sa famille travaille dans la conchyliculture depuis au moins cinq générations. Ses parents ont voulu marquer le saut dans la modernité par son choix de prénom. Assez vite, le fait de devoir assumer son prénom lui a forgé le caractère. Elle a été une ado têtue, puis une jeune fille décidée.
Egalité Homme / Femme
Choix de son orientation au lycée (avec Parcoursup) : ses parents n’ont pas voulu qu’elle s’oriente vers la conchyliculture, c'est un métier pas fait pour les filles à une période où il y avait beaucoup de problèmes dans la filière : l’usage du plastique était très critiqué, les étés très chauds et le dragage posaient un problème sanitaire à répétition avec le développement de bactéries opportunistes, les pertes avaient été importantes deux années de suite, les administrations développaient les contrôles tatillons sur les exploitations, et il y avait le problème avec le braconnage.
Elle a intégré une grande école d’ingénieur. Diplômée, elle a travaillé dans un grand groupe français en région parisienne puis à Lyon. Puis, le grand amour, un enfant, et un jour, elle s’est rappelée qu’elle était une fille du bord de mer : il fallait revenir sur la côte et changer de vie. Et voilà. Le saut dans le vide : elle a monté son activité en mytiliculture.
Pas de plastique
Dans son quotidien. Elle a choisi de faire les choses à sa manière, pas à celle des anciens. Pas de plastique pour les collecteurs de naissains. Ça a marché parce qu’elle avait gardé le nom de son père et on savait que sa famille avait toujours été sérieuse. Ses collègues conchyliculteurs ne voulaient pas changer leurs habitudes. Heureusement qu’elle est têtue et elle a trouvé des arguments, d’abord auprès du grand-père : le tout plastique n’est pas si vieux, les années 1990.
Ensuite, les projets de l’Agglo et de la Région ont aidé à faire bouger les lignes : la charte de la plage sans plastique, l’élargissement du parc marin et l’association des gens des métiers de la mer aux décisions de sa gestion, etc.
Carbone bleu
Les moules sont des puits à CO2 et à azote. Cette prise de conscience de la profession a renversé les perspectives.
Après un travail avec l’Agglo et l’université, un compte-épargne en faveur des conchyliculteurs a été créé, une sorte de prime à la captation de CO2 et d’azote. Ce compte qui est en monnaie locale a permis d’abonder un fonds assuranciel qui joue en cas de pollution et de pertes de production. Le fonds sert aussi de couverture pour les sorties pédagogiques, Jeudi connaît bien Jacob, l’éleveur, qui a poussé pour la mise en œuvre de ce principe pour favoriser l’usage des ânes et chevaux dans les activités de ramassage des déchets sur les plages et d’entretien des parcs et jardins. Les entreprises pollueuses contribuent à ce fonds, comme les citoyens qui peuvent le faire sur la base du volontariat. Beaucoup de bons clients, en particulier ceux qui ont découvert la production de Jeudi par le pescatourisme. Et honnêtement ça donne de l’air à sa trésorerie.
Approvisionnement des pieux
Avec ses collègues et l’aide de l’Agglo et de la Région, ils ont réfléchi à une filière d’approvisionnement locale pour les pieux. Plutôt du pin maritime résistant aux tarés que du bois exotique. Ça s’est fait avec le Contrat Territoire d’Environnement.
Mobilité / Motorisation des barges et zodiacs
Et après ils se sont attaqués à la motorisation des barges et des zodiacs. Dans les années 2020, les bateaux étaient très bruyants. Le boulot est très physique et le bruit en plus ça n’aide pas. La consommation du gasoil devenait du non-sens. Une borne de recharge a été installée à Chef de Baie et progressivement il y en a eu de plus en plus et quand il a fallu changer les bateaux, c’était une évidence pour tous : fallait totalement revoir la flotte. Il y a un vrai plaisir à embarquer sur une belle barge, sûre, silencieuse, pas polluante. C’était logique avec le système de poids lourds à propulsion électrique mis en place pour desservir Chef de Baie. Faut être cohérent.
Le port est aujourd’hui une zone accessible à tous.
Tourisme
Tournée vers la mer, l’Agglo a développé, avec les filières pêche et conchyliculture, le pescatourisme. Les conchyliculteurs embarquent régulièrement des jeunes des écoles ou des touristes pour aller à la marée et leur faire découvrir leur métier, leurs techniques et l’environnement marin.
Economie circulaire
Enfin, avec les bars dégustation qu’elle a ouverts, s’est posé le problème des coquilles vides. Des projets de valorisation des déchets se sont montés avec l’Université. C’est encore du sport de travailler avec des universitaires. Heureusement, sa casquette d’ingénieure l’a aidée. Elle a eu l’impression qu’elle n’avait pas trop besoin de traducteur. Et d’ailleurs, les projets ont abouti à un truc d’enfer : on a développé la filière de valorisation des coquilles pour les transformer en matériaux de construction. Les déchets de certaines activités devenaient utiles pour d’autres entreprises.
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